Fait peu fréquent, les référendums et les consultations populaires alimentent, ces jours-ci, l’actualité politique, locale et européenne. En Suisse, où la consultation n’est pas rare, la cinquième votation populaire fédérale a eu lieu fin septembre. Les Irlandais, eux, viennent de donner un coup de pouce décisif au Traité de Lisbonne et les Anversois s’apprêtent à se rendre dans l’isoloir ce dimanche 18 octobre, pour – qui sait – porter un coup fatal au «Lange Wapperbrug», ce méga-projet de pont routier au Nord de la ville.
La consultation populaire est une institution de démocratie directe (« le corps électoral se prononce, de manière contraignante ou indicative, sur une question déterminée ») ; elle constitue un complément – et pas une alternative – à la démocratie représentative (« le corps électoral désigne ses représentants au sein d’assemblées »). Ses variantes sont nombreuses; je n'entre pas dans les détails ici. Sans ignorer les distinctions mais par facilité, je poursuivrai en parlant indistinctement de consultation populaire et de référendum de manière générique.
Quel est l’apport de la consultation populaire à la démocratie ?
Je voudrais, avant tout, rappeler une évidence : la démocratie n’est pas un corpus intouchable de règles figées, coulées dans une loi d’airain. Les principes généraux de représentation du peuple et de l’Etat de droit, les droits de l’Homme et les libertés fondamentales en constituent la matrice, mais au delà, les régimes politiques qui s’en réclament sont multiples ; aucun ne peut prétendre à l’excellence démocratique. Chaque système est ancré dans son histoire et son présent ; il forme un équilibre relatif, déterminé par son contexte culturel. Il arrive que cette notion de relativité de la démocratie soit perdue de vue, volontairement ou non. Les « ce n’est pas démocratique… » entendus ici et là ont tendance à m’irriter.
Dans son adaptation au contexte évolutif, la démocratie connaît un mouvement général de rapprochement entre les politiques et les citoyens. La distance fait place à la proximité : le ministre se mêle à la population ; il parle « comme les gens » et partage leurs loisirs. Sur le plan institutionnel, des efforts sont entrepris pour rendre l’administration plus transparente et accessible. Des formes nouvelles de démocratie sont mises en œuvre : commission de concertation, enquêtes publiques, association de groupements au processus décisionnel, panels citoyens, etc. La démocratie prend des formes participatives.
Cette évolution, inévitable et nécessaire, représente une avancée.
On tend toutefois aujourd’hui à effacer la différence fondamentale de statut entre les uns et les autres. Le politique n’est pas un simple citoyen : élu, il porte un projet voire une vision. C’est lui qui devra, in fine, déterminer comment mettre en œuvre ce projet, quitte à assumer une forme d’impopularité. La position d’un politique n’est pas la somme des avis de ses électeurs – somme au demeurant impossible. Cela ne signifie pas qu’il n’est pas important, dans le processus décisionnel, de prendre en considération les expressions des positions citoyennes mais cette prise en considération est une étape du processus, pas son aboutissement. La dialectique politique ne se résume pas à la fiction d’une relation unilatérale des électeurs vers leurs représentants que certains discours populistes voudraient faire passer pour l’essence de la démocratie.
Ceci dit et pour en revenir au sujet, c’est à la lumière de cette tension entre «proximité» et «distance», entre «expressions citoyennes» et «responsabilité politique» qu’il faut envisager l’intérêt de la consultation populaire.
Le référendum pose le débat publiquement. Il oblige les politiques à sortir de leurs cercles, à s’expliquer et à dévoiler leurs arguments. Leur volonté de convaincre les amène à faire preuve de pédagogie (ou de démagogie – mais cette critique vaut aussi pour les élections). De leur côté, les citoyens sont stimulés et invités à s’interroger; ils participent au débat comme ils ne l’auraient jamais fait. Des avis autres qu’experts occupent l’espace public. Les techniciens doivent «vulgariser».
La richesse et la force des débats que connaît la métropole anversoise dans la dernière ligne droite précédant sa consultation populaire sont impressionnants. Le journal Le Standaard notamment en fait état quotidiennement (http://bit.ly/1N8zqE). Sans doute cette consultation arrive-t-elle un peu tard, mais c'est là une autre question.
Le référendum français du 29 mai 2005, initié et non maîtrisé par Jacques Chirac (plébiscite quelque peu manqué), donna, lui aussi, lieu à un véritable foisonnement de débats, absent dans les Etats où la Constitution européenne fût ratifiée par le Parlement.
Certes, le référendum n’est pas la condition sine qua non de ce bouillonnement démocratique, mais il présente cette vertu de l’engendrer ou de l’amplifier inévitablement.
Les reproches contre le référendum, je les entends bien : débats binaires, détournement de l’objet, réduction simplificatrice des enjeux, etc. Charles Bricman les exprimait récemment dans son blog «On a des choses à se dire» (http://bit.ly/1phYU6).
Ces reproches sont sans doute fondés, même si l’exemple anversois montre, vu de Bruxelles, que la complexité des choses semble bien prise en considération. Mais ces critiques valent, de la même manière, pour les élections en générale. Qui vote en parfaite connaissance de cause (c’est à dire sur le programme des partis) ? Les politiques n’adoptent-ils pas des positions réductrices et caricaturales lors de campagnes électorales («la crise libérale» «la rage taxatoire» …) ? Qui a voté en tenant compte des enjeux européens aux élections européennes ? Ce n’est pas le propre de la consultation populaire d’être face à ces travers.
La consultation populaire enrichit la démocratie. Une pratique politique de respect des résultats devrait sans doute se mettre en place, mais il ne me paraît pas souhaitable de l’imposer en droit. Ce serait ôter au politique sa responsabilité. Je considérerais comme une faiblesse de la démocratie un système qui n’accorderait pas à celui-ci le pouvoir du dernier mot.