Le repentir occupe l’actualité. Dans l’expression de certains hommes d’Eglise. Et surtout, dans l’attente des victimes d’actes de pédophilie.
“Le repentir est à la mode: le pape se repent du fait qu’un de ses prédécesseurs ait condamné les théories de Galilée, le bourgmmestre de Liège se repent du fait qu’un de ses prédécesseurs ait participé activement à la persécussion des juifs… Le repentir est une notion très chrétienne. C’est l’aveu indispensable pour obtenir la rémission de ses pêchés et l’absolution. Il ne change évidemment rien à la situation objective mais conditionne pour le pêcheur son retour dans le droit chemin.”
Voilà donc pour leur introduction sentencieuse. Je résume: “se repentir, c’est un truc lié à notre culture chrétienne de la culpabilité; cela ne change en soi rien à la réalité objective”.
Surprenant que des personnes censées, de part leur fonction, appréhender la complexité des choses, puissent tenir un discours à ce point réducteur.
Une première remarque: je ne suis pas sûr que le repentir soit le propre de la culture chrétienne. Le Japon –qui est bien loin des conceptions chrétiennes- pratique l’excuse publique de manière quasi-rituelle.
Une deuxième observation, qui ne touche toujours pas au coeur de la question, mais qu’il me paraît intéressant de relever du point de vue de l’argumentation: l’étudiant ne demandait pas à Rigaux de se justifier pour des positions prises par ses prédécesseurs, mais pour les siennes. Au plus le comportement dénoncé est éloigné de celui à qui on demande des comptes, au plus il est facile de railler la demande de reconnaissance de la faute. Que Benoît XVI reconnaisse l’erreur de l’Eglise par rapport à la rondeur de la Terre, cela peut faire rire. Le choix de cet exemple n’est pas innocent.
Plus fondamentalement, Morelli et Bricmont se trompent en tentant de réduire la question du repentir à une problème de conscience de son auteur. Dans la société, reconnaître son erreur ou sa faute est une condition indispensable pour recréer la confiance, rétablir sa crédibilité. Que ce soit dans le chef d’une personne ou d’une institution. Que ce soit à l’égard de la victime ou de la société en général.
Comment l’étudiant peut-il accorder du crédit à un discours sur les droits de l’homme tenu par une personne qui laisse planer doute et ambiguité sur ses symppathies passées ?
Prétendre que le repentir ne change pas les conditions objectives, c’est refuser de voir l’impact réel qu’engendre la reconnaissance de la faute auprès de la vitime ou, selon les circonstances, des membres d’une communauté. Comme si cela ne relevait pas des conditions objectives.
La reconnaissance de faute, à quel que niveau que ce soit, c’est un peu comme la politesse et les règles de courtoisie: sans elle, pas de cohésion sociale; sans elle, une société de méfiance et de tension permanente.
Voilà donc. Rigaux & Co se sont laissé entraîner par une image romantique des Khmers rouges. Leur vrai erreur: avoir été distraits de leur tâche principale: la critique du monde occidental, capitaliste et impérialiste. Et, de plus, "il est évident qu’ils n’avaient pas connaissance des réalités en cours dans le pays à l’époque".
Ce qui est en jeu, dans le reproche qui est fait à Rigaux, ce n’est pas tant l’étendue de sa connaissance du génocide au moment de son soutien, mais sa crédulité, son absence de réserve critique vis-à-vis d’un pouvoir révolutionnaire violent et non démocratique… Fin des années 70, les intellectuels avaient eu le temps de prendre conscience de la nature intrinsèquement totalitaire des régimes communistes.
L’absence de repentir de Rigaux tout comme l’argumentaire de ses deux collègues académiciens s’appuie sur l’idée sous-jacente, chez eux, selon laquelle les soutiens et les critiques se valent, que leur objet soit un régime totalitaire ou une démocratie imparfaite.
C’est une assimilation que je ne ferai jamais. Sans doute me faudra-t-il revenir un jour sur cette conviction profonde, même si elle me paraît évidente. Mais elle est certainement la raison pour laquelle je suis incapable d’accorder quelque crédit que ce soit aux trois professeurs.