mercredi 7 avril 2010

Le repentir n'est pas une mode


Le repentir occupe l’actualité. Dans l’expression de certains hommes d’Eglise. Et surtout, dans l’attente des victimes d’actes de pédophilie.

Ceci étant, ce n’est pas de cette actualité que je veux traiter ici mais bien d’une controverse née d’une non-actualité.

Un étudiant en droit dénonçait récemment, dans les colonnes du journal Le Soir, l’attitude d’ex-sympathisants belges des Khmers rouges, François Rigaux en particulier. Professeur spécialisé en droit international, celui-ci n’a jamais reconnu son erreur ou manifesté de regrets à propos de son engagement en faveur du régime de Pol Pot dans la deuxième moitié des années ’70 (Rigaux a été président de l’Association Belgique-Kampuchéa entre 1975 et 1978). Et le jeune de marquer sa surprise face à cette absence de repentir.

Quelques jours plus tard, deux professeurs d’université, Jean Bricmont et Anne Morelli, montaient au créneau contre l’impétueux, dans une carte blanche diatribe caractéristique de la “petite gauche” académique (LS, vendredi 2 avril).

“Le repentir est à la mode: le pape se repent du fait qu’un de ses prédécesseurs ait condamné les théories de Galilée, le bourgmmestre de Liège se repent du fait qu’un de ses prédécesseurs ait participé activement à la persécussion des juifs… Le repentir est une notion très chrétienne. C’est l’aveu indispensable pour obtenir la rémission de ses pêchés et l’absolution. Il ne change évidemment rien à la situation objective mais conditionne pour le pêcheur son retour dans le droit chemin.”

Voilà donc pour leur introduction sentencieuse. Je résume: “se repentir, c’est un truc lié à notre culture chrétienne de la culpabilité; cela ne change en soi rien à la réalité objective”.

Surprenant que des personnes censées, de part leur fonction, appréhender la complexité des choses, puissent tenir un discours à ce point réducteur.

Une première remarque: je ne suis pas sûr que le repentir soit le propre de la culture chrétienne. Le Japon –qui est bien loin des conceptions chrétiennes- pratique l’excuse publique de manière quasi-rituelle.

Une deuxième observation, qui ne touche toujours pas au coeur de la question, mais qu’il me paraît intéressant de relever du point de vue de l’argumentation: l’étudiant ne demandait pas à Rigaux de se justifier pour des positions prises par ses prédécesseurs, mais pour les siennes. Au plus le comportement dénoncé est éloigné de celui à qui on demande des comptes, au plus il est facile de railler la demande de reconnaissance de la faute. Que Benoît XVI reconnaisse l’erreur de l’Eglise par rapport à la rondeur de la Terre, cela peut faire rire. Le choix de cet exemple n’est pas innocent.

Plus fondamentalement, Morelli et Bricmont se trompent en tentant de réduire la question du repentir à une problème de conscience de son auteur. Dans la société, reconnaître son erreur ou sa faute est une condition indispensable pour recréer la confiance, rétablir sa crédibilité. Que ce soit dans le chef d’une personne ou d’une institution. Que ce soit à l’égard de la victime ou de la société en général.

Il y a dans la démarche du repenti une fonction sociale essentielle, dont l’utilité n’a pas besoin d’être validée par quel que mobile moral ou religieux que ce soit.

Comment l’étudiant peut-il accorder du crédit à un discours sur les droits de l’homme tenu par une personne qui laisse planer doute et ambiguité sur ses symppathies passées ?

Comment la victime d’abus ou de méfaits peut-il faire confiance à l’auteur des faits si celui-ci ne reconnait pas publiquement sa faute ? La pratique des tribunaux coutumiers mis en place au Rwanda suite au Génocide de 1994 serait-elle donc tout-à-fait farfelue ?

Comment allez-vous continuer à faire du commerce avec un partenaire si celui-ci vous a trompé et qu’il ne le reconnaît pas ?

De manière plus large, pourquoi la communauté juive a-t’elle tant attendu la reconnaissance par Jacques Chirac, en 1995 lors de la commémoration de la Rafle du Vel d’Hiv, de la responsabilité de l’Etat frainçais – il faut lire le discours de Chirac ? Pourquoi les animateurs du Mouvement pour la réhabilitation de la mémoire historique en Espagne, descendants de victimes du franquisme, revendiquent-ils la reconnaissance par les autorités ibériques de la responsabilité de l’Etat face aux disparitions anonymes ? Pourquoi, ce mercredi 7 avril, les Polonais se sont réjouis du discours de Poutine à l’occasion de la commémoration des massacres de Katyn ?

Prétendre que le repentir ne change pas les conditions objectives, c’est refuser de voir l’impact réel qu’engendre la reconnaissance de la faute auprès de la vitime ou, selon les circonstances, des membres d’une communauté. Comme si cela ne relevait pas des conditions objectives.

La reconnaissance de faute, à quel que niveau que ce soit, c’est un peu comme la politesse et les règles de courtoisie: sans elle, pas de cohésion sociale; sans elle, une société de méfiance et de tension permanente.

Je suis persuadé que les deux professeurs, au-delà de leur moquerie, appliquent cette règle au quotidien et je ne les soupçonne pas d’agir ainsi en vue de se laver de leurs pêchés. Simplement, ils cherchent à maintenir la cohésion de leur environnement social.

Mais, ne pas reconnaître son erreur revient à considérer que son comportement n’était pas vraiment … une erreur. En ce sens, la critique que Mme Morelli et Mr Bricmont énonce à l’encontre du repentir me semble assez conjoncturelle. Seraient-ils montés aux baricades si l’étudiant avait demandé aux dirigeants français ou états-uniens de reconnaître les méfaits de la colonisation et des interventions militaires dans l'ancienne Indochine ?

Derrière cette critique quelque peu condescendante du repentir se trouve, chez les auteurs de la carte blanche, la conviction que Rigaux & co n’étaient pas vraiment dans l’erreur: “Quant aux “amis” belges des Khmers rouges, ils n’ont évidemment pas approuvé les Khmers rouges tels qu’ils apparaissent aujourd’hui mais tels qu’ils apparaissaient à l’époque. Leur véritable erreur a été de se laisser aller à une réthorique facile de “soutien” à des causes lointaines et mal comprises plutôt que de se consacrer à une critique concrète des sociétés et des politiques occidentales…”.

Voilà donc. Rigaux & Co se sont laissé entraîner par une image romantique des Khmers rouges. Leur vrai erreur: avoir été distraits de leur tâche principale: la critique du monde occidental, capitaliste et impérialiste. Et, de plus, "il est évident qu’ils n’avaient pas connaissance des réalités en cours dans le pays à l’époque".

Ce qui est en jeu, dans le reproche qui est fait à Rigaux, ce n’est pas tant l’étendue de sa connaissance du génocide au moment de son soutien, mais sa crédulité, son absence de réserve critique vis-à-vis d’un pouvoir révolutionnaire violent et non démocratique… Fin des années 70, les intellectuels avaient eu le temps de prendre conscience de la nature intrinsèquement totalitaire des régimes communistes.

L’absence de repentir de Rigaux tout comme l’argumentaire de ses deux collègues académiciens s’appuie sur l’idée sous-jacente, chez eux, selon laquelle les soutiens et les critiques se valent, que leur objet soit un régime totalitaire ou une démocratie imparfaite.

C’est une assimilation que je ne ferai jamais. Sans doute me faudra-t-il revenir un jour sur cette conviction profonde, même si elle me paraît évidente. Mais elle est certainement la raison pour laquelle je suis incapable d’accorder quelque crédit que ce soit aux trois professeurs.