jeudi 19 novembre 2009

Non, Dany, ça c'est pas le foot


J'aime Cohn-Bendit, son attitude face à la politique, sa clairvoyance, son examen critique, sa nuance, son intelligence, etc. Mais là ! Ses déclarations à l'AFP, reprises par Le Monde et reproduites ci-dessous, sont un concentré de bêtise. Il avait, lors d'une récente émission, reconnu que concernant le foot, il pouvait faire preuve de mauvaise foi crasse. C'était un euphémisme.

Extrait du Monde en ligne, ce jeudi 19 novembre:

Autre responsable politique à intervenir, Daniel Cohn-Bendit (Europe-Ecologie) a déclaré à l'AFP jeudi que
"la main de Thierry Henry, c'est le summum de la chance". Henry a "fait son job", "c'est l'arbitre qui aurait dû voir la main", a-t-il poursuivi, jugeant que "ce n'est pas de la tricherie, le football c'est comme ça". Et d'ajouter. "Ce qui m'a terrifié, ce n'est pas la main - ça arrive, les plus grands on fait ça comme Maradona -, ce qui est horrible, c'est la manière dont a joué l'équipe de France".

La lecture de cet extrait du Monde m'a mis hors de moi: la rage se mêle à la déception.

Dans cette affaire, ce qui est grave, ce n'est pas l'erreur d'arbitrage, mais l'attitude de Thierry Henry après sa faute volontaire et la caution apportée par des personnalités comme Dany ou d'autres (Rama Yade notamment).

Qu'une main traîne volontairement, ça arrive. Que l'arbitre ne la voit pas, ça arrive. Qu'on considère normal que l'auteur du forfait n'ai pas l'obligation morale (fair-play) de reconnaître sa faute est atterrant. Il y a un certain honneur dans la victoire. Henry aurait du signaler sa faute à l'arbitre, un point c'est tout.

Cohn-Bendit ajoute: "il fait son job". En quoi le job d'un footballeur consiste-t-il à tricher ? (c'est comme si on acceptait la tricherie d'un membre des Verts, au motif que son job consiste à faire gagner son parti !). Qui a décrété que le fair-play ne s'imposait pas dans le foot ?

La faute n'est pas chez l'arbitre; elle est chez le sportif tricheur.

L'appel à Maradona est vraiment affligeant et sonne comme un aveu d'impuissance. Comme si, parce que d'autres l'ont fait...

On est au dégré zéro de l'argumentation.

Comment lutter contre la tricherie dans le sport, qu'il soit professionnel ou amateur, si on (des autorités, des références) accepte qu'un but puisse reposer sur une tricherie, à fortiori quand il s'agit d'un joueur emblématique et que l'enjeu est la qualification pour la coupe du monde.

Les jeunes qui ont vu Henry hier soir, qui ont lu ou entendu Cohn-Bendit (et les autres), auront sans aucun doute un peu plus facile à trouver quelque accommodement avec leur conscience quand ils seront en situation.

Non, Dany, ce n'est pas le niveau de jeu de ton équipe favorite qui est horrible (je suis surpris que tu puisses penser que les gens s'intéressent à ton avis sur la question); ce qui est horrible, c'est la banalisation que tu fais de la tricherie.

J'en suis encore K.O.

lundi 9 novembre 2009

Radio Bruxelles


Le 17 septembre 2009, alors qu'un reportage belgo-suisse sur la mise en scène des apparitions publiques du président Sarkozy faisait du bruit dans le landerneau cathodique, la RTBF (Radio Bruxelles) fanfaronnait sur son site: « la distance kilométrique et institutionnelle favorise l'exercice de l'impartialité ! ».

La distance favorise l'impartialité donc. Les télés locales sont-elles donc condamnées à la partialité ? L'exclusion des politiques de leurs instances -mesure envisagée par la Communauté française et discutée ce lundi dès 15 heures 55 sur InterMédias- va t-elle modifier la situation ?

Accuser les télés locales de partialité est excessif et heurtant pour des personnes qui tentent d'exercer leur métier avec professionnalisme, avec les faibles moyens dont ils disposent. Mais on ne peut nier que les proximités institutionnelles (élus siégeant dans les instances, financement en provenance pour partie des communes et des provinces) et géographique créent un climat malsain de dépendance du média vis-à-vis d'un monde politique qu'il est censé couvrir avec la distance journaliste requise.

L'élu local qui siège au CA voire au Bureau de l'institution bénéficie d'entrées et d'un accès facilité aux personnes clefs. Il connaît la maison et celle-ci est souvent petite. L'ancienne pratique politique était coutumière d'interventions directes. Je crois que ces comportements se font plus rares, à tout le moins plus discrets.

Mais l'essentiel n'est pas là. Souvent, l'influence s'exerce de manière sournoise. Ce qui est en jeu, c'est l'accès à l'information. Les journalistes critiques se voient privées de sources, du fait de leur indépendance. « Si vous êtes sympas avec nous, on continuera à vous alimenter en informations, voire en primeurs. Sinon, vous serez boycotté ! » Les choses sont rarement aussi explicites, mais le contexte est bien celui-là. Ce n'est d'ailleurs pas le propre des télés locales. La presse écrite est confrontée au même phénomène.

Je me souviens de la couverture par Télévesdre d'une visite organisée par la SPI+ à Freiburg im Breisgau. Voilà des mandataires locaux de la province de Liège qui découvrent les vertus des politiques écologiques mises en oeuvre dans la ville allemande. Tout le monde est élogieux. Télé Vesdre donne largement la parole à quelques mandataires influents: un dirigeant d'une intercommunale importante, une échevine d'une ville de la Province, un député provincial. Tous sont convaincus, alors qu'il n'y a pas si longtemps, ils ne cachaient pas leur scepticisme. Chacun y va de son initiative locale, exemplaire. Les deux conseillères provinciales écologistes qui avaient participé au voyage, elles, n'ont pas voix au chapitre. Pourtant, leur avis, qui, à priori, devait être intéressant, aurait permis de mettre en perspective les déclarations des uns et des autres.

Cet exemple est à mon sens symptomatique: il n'est pas question ici de parti pris; il n'y a pas de faute de la part du journaliste, juste une légère omission complaisante.

L'interdiction faite aux élus de siéger dans les CA des télés locales ne va pas entraîner de changement radical. Les élus risquent d'être remplacés par des apparatchiks locaux. Il y aura moins d'interventions d'un côté; il y en aura plus de l'autre. En soi, pas de grande différence. De plus, celui qui savait se faire désigner par son parti comme représentant auprès de la télé locale saura certainement se faire entendre de l'apparatchik. Plus fondamentalement, comme je l'ai souligné ci-dessus, l'influence politique sur le travail journalistique s'exerce principalement sur un autre plan: celui de l'accès à l'information. Chaque bourgmestre bénéficie de cette arme, qu'il siège ou non dans le CA de la télé locale.

Alors que faire ? Par où commencer ?

Parmi d'autres mesures (par exemple, pourquoi ne pas envisager la signature par les administrateurs des télés locales d'un code de bonne conduite ?), je me dis que l'exclusion des politiques n'est peut-être pas aussi inappropriée que ce que je pensais initialement. Pour les équipes rédactionnelles, le départ des élus signifiera une forme d'émancipation, le sentiment de ne plus avoir en permanence, dans son dos, une présence partisane, l'espoir de ne plus être évalué par des politiques juges et parties.

Symbolique, la mesure pourra s'avérer bénéfique si elle ne reste pas isolée.

mardi 27 octobre 2009

Lizin / Eerdekens, une proximité plus que géographique


Anne-Marie Lizin était bien de retour, dimanche midi sur les plateaux de la RTBF, égale à elle-même. Heureusement, et malgré l’intention du duo Maroy-Daout (voyez leurs déclarations sur le site de Sud Presse), c’est plutôt comme animatrice qu’elle a marqué le débat que comme contributrice. Faire rire, involontairement, la galerie (« je ne vais pas vous rappeler que je représente plus de 150.000 électeurs »), puis, piquer sa colère feinte, vieille ficelle dont elle continue à user (*). Le professeur de religion islamique, mesuré, tentait en vain de terminer son argumentation : Mme Lizin, de son indignation construite, élevait la voix et coupait court à tout dialogue. La posture autoritaire, naturelle, reprenait le dessus.


Claude Eerdekens est coulé dans le même moule. Les grandes déclarations moralisantes, il connaît. C’est souvent excessif (« l’étoile jaune de l’élu »), mais au plus ce l’est, au mieux, pense-t-il. Des contre-feux destinés à détourner les regards de ses pratiques locales autoritaires, bien loin des principes généreux dont il se fait régulièrement le chantre.


Comme Lizin, il tient les petits écolos « poils à gratter » pour responsables de tous les maux et les attaque sur tous les fronts. Voyez, sur l’efficace www.agorati.be, ses dernières contributions. Eclairant : OGM, amiante, bio-carburant, nucléaire, les pesticides, ondes électromagnétiques, etc.


Cette guerilla impulsive contre le vert va finir par irriter le boulevard de l’Empereur. Pas que la direction du PS souhaite ménager Javaux et les siens, mais, camarade Claude, il faudrait la jouer plus subtil, à la Magnette: « l’écologie, c’est aussi nous ».


Pas surprenant que Mr Eerdekens s’en prenne à la particratie. Il n’est plus en odeur de sainteté dans son parti. Le moindre faux-pas, la moindre affaire et il suivra le sort de sa voisine mosane.


(*)Avez-vous noté que les politiques dirigent volontiers leurs colères médiatiques contre des non-politiques, comme le Ministre Lutgen l'a fait, il y a quelques semaines, sur le même plateau, face à un fonctionnaire européen ? C’est tellement facile et payant ; mais c’est tellement déplacé !


vendredi 16 octobre 2009

Fils à papa


Les « fils à papa », l’Open VLD connaît. Walter Pauli du Morgen développait récemment l'analyse suivante: si le parti libéral flamand peine à trouver un digne successeur à Guy Verhofstadt, c’est en partie du à la place prépondérante qu’occupent les « filles et fils de » : Jean-Jacques De Gucht, Mathias De Clercq, Alexandre De Croo, Eva Vanhengel, etc. Pas que ces jeunes soient dépourvus de qualités. Non, leur faiblesse tient au fait que leur position n’est pas l’aboutissement du parcours à obstacle classique, que le commun des mortels attiré par les sirènes politiques est invité à traverser, avec l'aide de ses seuls coudes. Devenir paracommando sans avoir passé les étapes de la lourde sélection. Pauli prend l’exemple du pamphlet du jeune De Clercq : Pleidooi voor een nieuw liberaal offensief. S’il n’avait été écrit par le petit-fils de Willy, l’ouvrage aurait été descendu en flammes. Mais non, les critiques sont bienveillantes et l’auteur est aujourd'hui persuadé d’avoir apporté une contribution remarquable à la pensée politique.


La tradition de l’héritage professionnel est particulièrement présente dans certains milieux: fiston prend le relais de papa avocat, médecin, notaire ou politique. Nier qu’il bénéficie d’une prime de départ serait malhonnête sur le plan intellectuel; mais cette prime, fiston l'exploitera avec plus ou moins de talent. Prenez, au hasard, Charles Michel et Denis Ducarme.


C’est sur la durée qu’on apprécie. Souvent d’ailleurs, le processus de transmission prend du temps: Roger Vanden Stock est resté dans l’ombre de son père durant des années et ce n’est que petit à petit qu’il s’est forgé sa légitimité.


Depuis que Jean Sarkory -23 ans, fils du Président français- s’intéresse à la politique (deux ans environ), les portes ne cessent de s’ouvrir pour lui (bientôt peut-être celles de la présidence de l'EPAD, établissement public de gestion du quartier de la Défense à Paris, le plus grand quartier d'affaires européen). Qui croit, sincèrement, que ce serait au vu de ses talents ? Au plus les portes s’ouvrent, au plus Jean croit, comme Mathias, que, bon politique et compétent, il occupe la place qu’il mérite. En soi, Jean n’y peut rien. On lui fait croire et il croit. Il serait vraiment génial s’il doutait.


Malheureusement, ce ne sont pas les dernières interventions de ses partisans (surtout partisans de papa) qui stimuleront son sens critique.


Luc Chatel, Porte-Parole du Gouvernement français et Ministre de l’Education nationale, lance, irrité, «cette affaire commence à suffire! On a vraiment le sentiment d’une chasse à l’homme. Tous ceux qui interviennent sur cette question, que veulent-ils? Ils veulent interdire l’élection à un candidat de par son origine sociale, son nom, son faciès? C’est ça la République?». L’expression du ministre révèle de l'autosatisfaction revancharde, fier d’avoir renvoyé à ses opposants leurs formules habituelles. Il ne semble pas (encore) avoir mesuré l’ineptie de ses propos.


Pire. Fadela Amara, secrétaire d’Etat à la Ville, qui se dit touchée par le « jugez-moi sur mes actes » du petit Jean, déclare : « ce pays a peur de sa jeunesse ». Affreux détournement de slogan.


Quand on est à court d’argument, on ne fait plus dans la dentelle.


mardi 13 octobre 2009

Consultations populaires en question


Fait peu fréquent, les référendums et les consultations populaires alimentent, ces jours-ci, l’actualité politique, locale et européenne. En Suisse, où la consultation n’est pas rare, la cinquième votation populaire fédérale a eu lieu fin septembre. Les Irlandais, eux, viennent de donner un coup de pouce décisif au Traité de Lisbonne et les Anversois s’apprêtent à se rendre dans l’isoloir ce dimanche 18 octobre, pour – qui sait – porter un coup fatal au «Lange Wapperbrug», ce méga-projet de pont routier au Nord de la ville.


La consultation populaire est une institution de démocratie directe (« le corps électoral se prononce, de manière contraignante ou indicative, sur une question déterminée ») ; elle constitue un complément – et pas une alternative – à la démocratie représentative (« le corps électoral désigne ses représentants au sein d’assemblées »). Ses variantes sont nombreuses; je n'entre pas dans les détails ici. Sans ignorer les distinctions mais par facilité, je poursuivrai en parlant indistinctement de consultation populaire et de référendum de manière générique.


Quel est l’apport de la consultation populaire à la démocratie ?


Je voudrais, avant tout, rappeler une évidence : la démocratie n’est pas un corpus intouchable de règles figées, coulées dans une loi d’airain. Les principes généraux de représentation du peuple et de l’Etat de droit, les droits de l’Homme et les libertés fondamentales en constituent la matrice, mais au delà, les régimes politiques qui s’en réclament sont multiples ; aucun ne peut prétendre à l’excellence démocratique. Chaque système est ancré dans son histoire et son présent ; il forme un équilibre relatif, déterminé par son contexte culturel. Il arrive que cette notion de relativité de la démocratie soit perdue de vue, volontairement ou non. Les « ce n’est pas démocratique… » entendus ici et là ont tendance à m’irriter.


Dans son adaptation au contexte évolutif, la démocratie connaît un mouvement général de rapprochement entre les politiques et les citoyens. La distance fait place à la proximité : le ministre se mêle à la population ; il parle « comme les gens » et partage leurs loisirs. Sur le plan institutionnel, des efforts sont entrepris pour rendre l’administration plus transparente et accessible. Des formes nouvelles de démocratie sont mises en œuvre : commission de concertation, enquêtes publiques, association de groupements au processus décisionnel, panels citoyens, etc. La démocratie prend des formes participatives.


Cette évolution, inévitable et nécessaire, représente une avancée.


On tend toutefois aujourd’hui à effacer la différence fondamentale de statut entre les uns et les autres. Le politique n’est pas un simple citoyen : élu, il porte un projet voire une vision. C’est lui qui devra, in fine, déterminer comment mettre en œuvre ce projet, quitte à assumer une forme d’impopularité. La position d’un politique n’est pas la somme des avis de ses électeurs – somme au demeurant impossible. Cela ne signifie pas qu’il n’est pas important, dans le processus décisionnel, de prendre en considération les expressions des positions citoyennes mais cette prise en considération est une étape du processus, pas son aboutissement. La dialectique politique ne se résume pas à la fiction d’une relation unilatérale des électeurs vers leurs représentants que certains discours populistes voudraient faire passer pour l’essence de la démocratie.


Ceci dit et pour en revenir au sujet, c’est à la lumière de cette tension entre «proximité» et «distance», entre «expressions citoyennes» et «responsabilité politique» qu’il faut envisager l’intérêt de la consultation populaire.


Le référendum pose le débat publiquement. Il oblige les politiques à sortir de leurs cercles, à s’expliquer et à dévoiler leurs arguments. Leur volonté de convaincre les amène à faire preuve de pédagogie (ou de démagogie – mais cette critique vaut aussi pour les élections). De leur côté, les citoyens sont stimulés et invités à s’interroger; ils participent au débat comme ils ne l’auraient jamais fait. Des avis autres qu’experts occupent l’espace public. Les techniciens doivent «vulgariser».


La richesse et la force des débats que connaît la métropole anversoise dans la dernière ligne droite précédant sa consultation populaire sont impressionnants. Le journal Le Standaard notamment en fait état quotidiennement (http://bit.ly/1N8zqE). Sans doute cette consultation arrive-t-elle un peu tard, mais c'est là une autre question.


Le référendum français du 29 mai 2005, initié et non maîtrisé par Jacques Chirac (plébiscite quelque peu manqué), donna, lui aussi, lieu à un véritable foisonnement de débats, absent dans les Etats où la Constitution européenne fût ratifiée par le Parlement.


Certes, le référendum n’est pas la condition sine qua non de ce bouillonnement démocratique, mais il présente cette vertu de l’engendrer ou de l’amplifier inévitablement.


Les reproches contre le référendum, je les entends bien : débats binaires, détournement de l’objet, réduction simplificatrice des enjeux, etc. Charles Bricman les exprimait récemment dans son blog «On a des choses à se dire» (http://bit.ly/1phYU6).


Ces reproches sont sans doute fondés, même si l’exemple anversois montre, vu de Bruxelles, que la complexité des choses semble bien prise en considération. Mais ces critiques valent, de la même manière, pour les élections en générale. Qui vote en parfaite connaissance de cause (c’est à dire sur le programme des partis) ? Les politiques n’adoptent-ils pas des positions réductrices et caricaturales lors de campagnes électorales («la crise libérale» «la rage taxatoire» …) ? Qui a voté en tenant compte des enjeux européens aux élections européennes ? Ce n’est pas le propre de la consultation populaire d’être face à ces travers.


La consultation populaire enrichit la démocratie. Une pratique politique de respect des résultats devrait sans doute se mettre en place, mais il ne me paraît pas souhaitable de l’imposer en droit. Ce serait ôter au politique sa responsabilité. Je considérerais comme une faiblesse de la démocratie un système qui n’accorderait pas à celui-ci le pouvoir du dernier mot.


vendredi 2 octobre 2009

Bravo Bruxelles, malgré les esprits chagrins !


Les réseaux culturels bruxellois, francophones (RAB) et flamands (BKO) viennent de faire connaître leur Plan culturel pour Bruxelles: un ensemble de propositions, mûrement réfléchies et qui ne sont pas « à prendre ou à laisser », précise-t-on opportunément. Le processus de concertation mis en place, il y a deux ans dans la capitale, aboutit aujourd’hui à ce plan, qui me paraît constructif, concret, et fédérateur.

Lisez le texte et les propositions (en cliquant sur le titre du billet). Un geste fort et mature, qui témoigne de la richesse et de la vivacité des réseaux bruxellois.

Que voudrait-on de plus ? Peut-on ne pas saluer ?

Dans son article joliment intitulé « la culture tire son plan à Bruxelles », Jean-Marie Wynants du journal Le Soir rappelle toutefois que « certains estiment que ces propositions ont un air de cheval de Troie ».

On le savait et ce discours frileux fait régulièrement surface. Leur parano rend-elle donc aveugles ces esprits chagrins ? Ou est-ce leur nostalgie d’une certaine culture ? Ils doivent vivre bien isolés pour ne pas avoir constaté que les flamands bruxellois institutionnels se sont, pour la plupart, affranchis de la tare originelle, que leur contribution dans la réalité bruxelloise n’a plus rien à voir avec le mobile prosélytique de leurs bailleurs de fond. Le constat est là, tant dans le secteur culturel que social. Observez !

Mais peut-être est-ce cela qui gêne: une certaine indépendance des bruxellois flamands par rapport au politique, l’autonomie qu’ils ont conquise. Il ne faudrait pas que leur exemple fasse tache d’huile. La Culture en Communauté française n’aime pas trop ça, de Bruxelles à Chiny.

samedi 26 septembre 2009

Danois heureux, entre eux

Le 14 septembre dernier, Joseph Stiglitz présentait « le rapport sur la mesure de la performance économique et du progrès social » à son commanditaire, Nicolas Sarkozy. Objectif de l’exercice (en vue du G20 de Pittsburgh): permettre aux Nations et aux Organisations internationales de tenir davantage compte des dimensions humaine et sociale dans l’évaluation des économies. Très bien. Un peu saugrenu, quand même, venant du président bling bling français.

Focus donc sur l’humain. Focus sur, comme le dirait Justine, « les vraies valeurs ». Pour le coup, des études universitaires récentes, classant les pays selon le degré de bonheur de leurs habitants ont été sorties des tiroirs. Le Monde Magazine se penchait ainsi, le 19 septembre, sur les Danois, champions du monde du bonheur.

Premier constat : il existe bien –est-ce une surprise ?- une corrélation entre bien-être matériel et bonheur. Les quatre pays aux habitants les plus heureux, -le Danemark, la Suisse, l’Autriche et l’Islande- présentent des économies prospères (pour l’Islande, les choses se sont un peu gâtées depuis); ils sont respectivement 9ème, 6ème, 20ème et 10ème au classement PNB/habitant.

Mais la corrélation Richesse/Bonheur n’est pas parfaite. Les Bahamiens, les Bouthanais et les Costa-Ricains, classés 5ème, 8ème et 13ème dans le hit parade du bonheur, paraissent ne pas « mal vivre » leur pauvreté relative. A l’inverse, les économies les plus fortes n’offrent pas nécessairement les conditions du bonheur : voyez l’Allemagne, la France et le Japon, classé 90ème.

Une multiplicité de facteurs explique l’écart, dans un rapport, à n’en pas douter, fort complexe. Un de ces facteurs est particulièrement mis en exergue par Laurent Carpentier du Monde: la cohésion sociale, le sentiment, plus ou moins fort, d’appartenance à la Nation. Amusant de relever, à cet égard, que tous les pays au happiness ratting élevé connaissent une forme d’isolement : îles ou presqu’îles, pays nichés dans les montagnes, pays isolés institutionnellement.

Les Danois donc, les plus heureux : welfare state et économie solide, sécurité et respect, estime de soi, et surtout, le fait de vivre entre compatriotes. La thèse de ce couple écouté, ancienne ministre et chroniqueur influent, est explicite : « Les heureux Danois, une question de cohésion ». Une cohésion précieuse, heureusement préservée par une réduction massive des flux d’immigration, devenue insupportable durant les années 90 (sic). On se sent bien parce qu'on est entre nous, qu'on partage les mêmes valeurs (resic). Henrik Dahl, sociologue plus critique, dit la même chose à l’envers: « J’ai bien peur que ce soit la vieille version -celle de la solidarité mécanique qui ne dépasse pas la sphère des personnes semblables- qui prévale ici. Les Danois sont une tribu ».

Danemark, Suisse, Autriche… avec leurs villes propres et jolies, leurs bâtiments écologiques de pointe, la sécurité dans leurs rues, leurs transports en commun performants, … Des sociétés bien pensantes, où la différence est tolérée du bout des lèvres ; des pays au nationalisme affirmé où les bons résultats électoraux des partis populistes et d’extrême droite traduisent une tendance au repli identitaire.

Des gens heureux donc.

Troublant.

mercredi 16 septembre 2009

Javaux n'est pas Jannin


Je n’aime pas quand les politiques se mettent en scène, simplement parce que je n’aime pas la politique-spectacle.

Jean-Michel Javaux, le charismatique co-président d’ECOLO, vient de poster une vidéo simulant son enlèvement. Il le fait savoir, sur Facebook et Twitter : un teasing au profit d’un groupe rock ami, un clin d’oeil, à prendre au Xème degré sans doute. Le problème, c’est qu’en la circonstance, comme le montre la mésaventure de Brice Hortefeux, seul compte le premier degré.

Tout enlèvement est traumatisant, pour la victime, ses proches, les témoins. J’ai lu cet été le récit de Clara Rojas, l’ex-détenue des FARC. Ce WE, De Morgen relatait la séquestration par les talibans de Stephen Farrell, journaliste du NYT. Des situations analogues, moins spectaculaires, moins dramatiques, se produisent chaque jour et provoquent le même type de souffrances.

Simuler « pour rire », une prise d’otage, donne une impression de légèreté, d’absence d’empathie. Et venant d’un politique, c’est gênant.

Certains peuvent rire de tout (Jannin, Kroll, …); on l’accepte parce qu’ils ne représentent qu’eux. Puis, mine de rien, ils respectent les limites qu'ils se sont fixées.

Jean-Michel Javaux représente ses électeurs, sa commune, plus largement, avec ses collègues présidents des autres formations politiques, le corps électoral francophone dans son ensemble. Que ses opinions et ses positions soient tranchées ne pose pas problème. Par contre, ses « faits et gestes » doivent être consensuels, ne heurter aucune sensibilité, précisément parce qu’il a vocation à représenter tout un chacun.

Eric Fottorino, directeur du Monde, concluait son édito de ce WE en ces termes : « Brice Hortefeux a oublié qu’un ministre doit représenter à chaque instant les valeurs de la République. Et mesurer dans chaque mot ce qu’il peut contenir d’irrespect, de violence et d’humiliation ». Toute proportion gardée, le conseil me paraît pertinent ici aussi.

On peut être en politique, avec un certain détachement et un humour certain. Voyez notre Premier (l’actuel, pas le précédent !). Pas nécessaire, pour ce faire -et pas souhaitable d’ailleurs- de monter sur la scène de la politique-spectacle.

vendredi 11 septembre 2009

Une autre rue est possible, Mr le Président.

Ces dernières semaines, les habitants et les promeneurs de la rue de Flandre à Bruxelles ont découvert Jeroen Peters, squatter du n°100. Les avis affichés sur la vitrine de cet immeuble du dix-huitième siècle, propriété laissée à l’abandon par le CPAS depuis une dizaine d’années, racontent son histoire. La vidéo « L’équilibre fragile » postée sur www.vimeo.com permet d’en savoir plus.

Au départ d’une occupation « sans droit ni titre » mais à force de labeur et d’investissements, Peters a ouvert un espace original, «T’Evenwicht/L’Equilibre», galerie d’art pas comme les autres, lieu de rencontres ouvert aux voisins et aux démunis. Des artistes y exposent; des SDF y logent. Vernissages et repas sociaux se succèdent.

Mais voilà, «T’Evenwicht/L’Equilibre» n’entre pas dans les plans du CPAS; son président, Yvan Mayeur (PS), annonce que le squatter et ses hôtes devront évacuer les lieux pour laisser place à un rez commercial et un logement, après une opération de démolition / reconstruction. Un jugement d’expulsion est rendu. Le quartier se mobilise en faveur du maintien de l’Equilibre.

On en est là aujourd’hui.

Mon interrogation: une administration souple et dynamique est-elle possible ?

La logique institutionnelle voudrait ceci: les instances démocratiques anticipent et planifient; les décisions individuelles qui découlent de ce cadre général s’imposent telles quelles; pas question de s’en écarter. Exit donc Jeroen.

Une approche téléologique - qui met l’accent sur la finalité- envisagerait la question sous un autre angle. On sait que les plus belles symbioses sociales sont d’origine spontanée. Les meilleurs urbanistes et sociologues ont beau planifier mixité sociale et cohabitation harmonieuse; leurs plans ne suffisent pas. Dit plus simplement: combien de planificateurs ne rêvent pas de voir émerger dans leur ville idéale une galerie d’art à vocation sociale, ouverte sur son environnement urbain ? Le genre d’entreprises qui ne se décrètent pas, que les travailleurs sociaux ne peuvent inventer, mais qui naissent d’un concours heureux de circonstances, de la magie d’une personnalité, de son histoire, de sa motivation, de sa force et de sa rencontre avec un lieu donnée, à un moment donné.

Bien entendu, le projet n’entre pas dans les schémas administratifs conventionnels et l’évaluation de son apport social n’est pas chose aisée (on peut d’ailleurs en dire autant pour les initiatives conventionnelles). Mais à nouveau, l’intérêt public doit pouvoir se jauger aussi en dehors des instruments de mesure habituels.

Mon propos ici n’est pas de dire « Jeroen doit rester » mais de poser la question: le CPAS est-il capable de mesurer réellement l’apport pour la ville et ses habitants de ce lieu social spontané ? Peut-il, sur la base de cette évaluation, s’écarter -le cas échéant- de la voie purement administrative en laissant l’initiative se déployer et en inventant un dispositif d’encadrement approprié ? La question est évidemment plus générale: une gestion publique dynamique est-elle possible ? Les autorités sont-elles en mesure d'accorder une place aux initiatives spontanées, à valeur ajoutée pour la société, au moment où celles-ci émergent?

Yvan Mayeur, président du CPAS et parlementaire fédéral socialiste, reprenait récemment à son compte, avec Jean Cornil, le slogan « un autre monde est possible »; il ajoutait, plus loin: « il faut oser remettre en cause un productivisme qui menace la qualité de vie ».

On pourrait commencer ici et maintenant, simplement.