samedi 19 juin 2010

Elections du 13 juin: des résultats inespérés


"Elections du 13 juin: des résultats inespérés": ni ironie, ni provocation.

D'abord, au sens premier, je ne l'espérais évidemment pas, ce résultat-là. Ni la NV-A ni le PS n'ont recueilli mes voix et je ne crois pas que cela arrivera un jour.

Mais, surtout, le résultat est inespéré parce qu'on n'aurait pu espérer mieux. Seules les victoires incontestées de la NV-A et du PS permettent d'espérer une sortie d'impasse de ce pays.

La Flandre a voté massivement pour le NV-A. A part Groen!, tous les autres partis régressent. Résultat remarquable, dont on peut discuter les raisons mais dont le signal est évident. Vu le discours clair de Bart De Wever et l'identité historique de son parti, ce vote met en exergue la volonté des flamands (la population) de s'affranchir davantage de l'Etat fédéral. Les francophones (journalistes, politiques, observateurs, etc.) ne pourront plus affirmer, comme ils l'ont fait trop facilement par le passé, que les flamands ne pensent pas comme leurs dirigeants. Le désir majoritaire des flamands pour une plus grande autonomie est un fait que les résultats de dimanche passé obligent à prendre en considération.

C'est le premier avantage du raz de marée NV-A.

Second intérêt: De Wever, fort de ces 786.000 voix de préférence et de ses 31 % au Sénat, va devoir descendre du balcon et se mouiller. Prendre langue avec les francophones, les considérer comme interlocuteurs, négocier et céder. Jusqu'à présent, la position de franc-tireur de son parti obligeait les autres à sortir couverts, à ne prendre quasi aucun risque, de peur de passer pour traites ou faibles, ou à se faire eux-mêmes franc-tireur. Aujourd'hui, le leader nationaliste flamand va s'exposer et dispensera ainsi les autres de surenchérir.

Troisième vertu de ce scrutin, du côté flamand: De Wever est parvenu à attirer à lui et son parti l'électorat de l'extrême droite et du populisme flamand. Les vues nationalistes de la NV-A ne sont pas les miennes, mais je préfère ses mandataires à ceux du Vlaams Belang et de la LDD. Entre De Wever et De Winter, entre Bracke et Dedecker, il y a un monde de différence. Les uns sont à l'intérieur du cadre démocratique, les autres en dehors ou à sa marge.

Côté francophone, les élections de dimanche passé ont fait ressortir la seule formation politique capable à la fois de tenir tête à la NV-A, d'aller au bout du processus de négociation et d'incarner une identité et un projet francophone.

La Communauté française, la Région wallonne, c'est le PS, dans une part importante et stable de son électorat et dans son organisation publique. Il s'agit, ici aussi et que cela plaise ou non, d'en prendre acte.

Je suis de ceux qui pensent que le PS aurait du être rejeté dans l'opposition, après tant d'années de pouvoir. Indépendamment de la critique qu'on peut, ou plutôt qu'on doit porter sur le système PS, il n'est pas sain qu'un parti, quel qu'il soit, s'installe au pouvoir.

Les socialistes francophones ont été, dans un passé récent, proches de l'opposition; malheureusement, les acteurs de cette possible révolution ont manqué tantôt d'adresse, tantôt de résolution.

En 2007, Didier Reynders parvient à déplacer le centre de gravité électoral mais se trouve bien seul pour isoler le PS. Le prix de son arrogance. L'homme -c'est un euphémisme- n'est pas fédérateur. Louis Michel avait sans doute un profil plus indiqué pour constituer cette alternative au PS mais, lui aussi, a échoué.

En 2009, ce sont les deux autres formations francophones qui ont failli. Renvoyer le PS dans l'opposition en Région wallonne était à leur portée mais le tandem écologiste-humaniste n'en a pas voulu. Au Cdh, parce que la volonté n'existait pas au sommet; chez ECOLO parce que la direction a été incapable de rallier à elle une base militante ne s'imaginant qu'en osmose avec "les valeurs de gauche" du PS.

Les occasions étaient belles; elles n'ont pas été saisies.

Aujourd'hui, vu l'évolution en Flandre et la réforme à négocier, un leadership clair en communauté française est nécessaire; seul le PS pouvait y prétendre. Les urnes l'ont adoubé.

Di Rupo, en négociant avec De Wever, va renforcer sa popularité et les positions de son parti au sein des institutions qu'il contrôle. Le PS voudra donc réussir. Il est en position d'assumer la première responsabilité d'un accord qui soit satisfaisant pour les flamands. Le MR de Reynders, même à 30%, n'aurait pas eu cette même latitude ni volonté.

La tactique du "nous ne sommes demandeurs de rien" a été un leurre. On a cru pouvoir gagner du temps; on l'a perdu, en exacerbant les revendications. Le résultat du 13 juin marque de manière péremptoire que le statu quo n'est plus tenable, tant sur le plan communautaire que sur le plan socio-économique. La Flandre veut plus d'autonomie. Comment, au nom d'une Belgique unitaire, peut-on raisonnablement croire pouvoir contrer cette tendance ?

Mener à bien une négociation satisfaisante pour les flamands s'impose, sauf à accepter un nouvel emballement de la spirale du radicalisme en Flandre.

Dimanche passé, deux formations ont émergé, tirées par deux fortes personnalités. Les attentes sont importantes; leurs responsabilités aussi. Il leur appartient de profiter de ce contexte favorable pour établir les fondements d'une Belgique nouvelle, avec l'autorité dont ils pourront faire preuve au sein de leur propre communauté.

Seuls eux sont en mesure, aujourd'hui, de mener à son terme l'indispensable entreprise.

Puisse l'exemple de Mandela les inspirer.

Bart Sturtewagen (édito du Standaard du 15 juin): "Twee mensen van uitzonderlijk gehalte zijn erin geslaagd de macht te verwerven in hun groep. Omdat de tijd er rijp voor was en zij rijp voor de tijd. Het initiatief ligt bij hen, maar ze moeten er meester over zien te blijven. De tijd speelt niet in hun voordeel. Heel soms laat de zwaartekracht, die ons doorgaans het vliegen belet, verstek gaan. Maar lang duurt dat nooit. Heel soms heeft een door conflict en onrecht gepijnigd land even recht op een Nelson Mandela. We hebben twee Mandela's nodig".

dimanche 6 juin 2010

Gunzig ou le prêt-à-penser


Ces dernières semaines, je n'ai, pour ainsi dire, pas pratiqué mes activités créatrices mais les nuages ont continué à traverser mon horizon. Ce nuage-ci est bien gris.

Je fais une allergie à Thomas Gunzig. Ses billets matinaux sur la Première ("café serré") m'ont saturé. Le seuil de tolérance est atteint. "Bande de cons" commis hier matin m'irrite sur tout le corps.

"Bande de cons" (à lire sur le blog de l'auteur) est une longue litanie répétitive composée d'images éculées. Gunzig ne pratique pas la ligne claire; il pratique le gros trait. Pauvre RTBF.

Mais que dit Gunzig pour m'insupporter à ce point ? Les belges sont un peuple gentil et sage, qui aime les choses simples et veut vivre en paix. Les politiques sont incapables, incompétents et créent des problèmes là où les "gens" n'en veulent pas. Faisons donc la grève.

Je suis consterné par le discours ambiant dont ce billet n'est qu'une illustration.

Béatrice Delvaux, rédactrice en chef du journal Le Soir et autre championne du prêt-à-penser bien pensant, affirmait dans son édito du WE passé, que la grande majorité des faiseurs d'opinion flamands interrogés sont favorables au dialogue et à la coexistence entre les deux communautés et que, eux au moins, feraient de bons gouvernants; les politiques feraient bien de s'en inspirer. D'un côté, la bonne société civile; de l'autre, le monde politique, mauvais. D'un côté, des femmes et des hommes responsables et de bonne volonté; de l'autre, des vilains, fauteurs de troubles. Le tour de Flandre impressionniste de Guy Duplat, dans la Libre d'il y a une semaine, versait dans le même travers.

Je me demande vraiment ce qui amène ces observateurs, chroniqueurs et journalistes, à simplifier ainsi l'analyse. Est-ce par facilité ? Est-ce pour plaire, ou pour s'auto-congratuler ?

Ne peuvent-ils donc pas observer, décrire et analyser la réalité dans sa complexité ? Essayer de comprendre en quoi BHV a une porté symbolique réelle et forte pour bon nombre de flamands ? Tenter de faire part de la diversité et la multiplicité des revendications et positions flamandes ? Comprendre que pour beaucoup, institutionnel et socio-économique sont liés ? Que pour certains, s'occuper du bien-être "des gens" passe par plus de compétences pour les régions ? S'interroger sur le phénomène de repli et de fermeture des régions prospères, dont les populations cherchent à préserver les acquis matériels à leur propre profit ? Tenter de saisir pourquoi 800.000 flamands ont voté Leterme en 2007 et pourquoi une proportion importante s'apprête à voter De Wever ? Comprendre pourquoi les Wallons continuent à voter Daerden et Di Rupo ? Plus fondamentalement, interroger, des points de vue de la philosophie et de la sociologie politique, le système de représentation démocratique, sa pertinence et ses failles, précisément ce système qui engendre ceux qui nous gouvernent...

Non, les gens ne sont pas spontanément bons; la société civile n'est pas par essence pure, les média neutres. Les premiers élisent nos gouvernants et les sollicitent quotidiennement. La société civile les orientent, par l'action de ses groupes de pressions sectoriels. Les média les façonnent. La situation dans laquelle se trouve notre pays aujourd'hui est le résultat d'interactions subtiles entre ces pôles différents, dans le cadre d'une société en pleine mutation. La responsabilité est partagée.

Personnellement, j'apprécie les chroniqueurs qui me surprennent par leurs éclairages innovants, par les relations inattendues, par leur regard froid et leur capacité à aller à contre-courant. Ils existent, par exemple sur la Première à 7h20 ou dans les colonnes du Standaard. Les lieux communs, fûssent-ils provocateurs (d'une provocation convenue) ne m'intéressent pas; ils me fatiguent.

Thomas Gunzig, vous terminez votre billet en appelant à la grève. Je vous en prie !