samedi 26 septembre 2009

Danois heureux, entre eux

Le 14 septembre dernier, Joseph Stiglitz présentait « le rapport sur la mesure de la performance économique et du progrès social » à son commanditaire, Nicolas Sarkozy. Objectif de l’exercice (en vue du G20 de Pittsburgh): permettre aux Nations et aux Organisations internationales de tenir davantage compte des dimensions humaine et sociale dans l’évaluation des économies. Très bien. Un peu saugrenu, quand même, venant du président bling bling français.

Focus donc sur l’humain. Focus sur, comme le dirait Justine, « les vraies valeurs ». Pour le coup, des études universitaires récentes, classant les pays selon le degré de bonheur de leurs habitants ont été sorties des tiroirs. Le Monde Magazine se penchait ainsi, le 19 septembre, sur les Danois, champions du monde du bonheur.

Premier constat : il existe bien –est-ce une surprise ?- une corrélation entre bien-être matériel et bonheur. Les quatre pays aux habitants les plus heureux, -le Danemark, la Suisse, l’Autriche et l’Islande- présentent des économies prospères (pour l’Islande, les choses se sont un peu gâtées depuis); ils sont respectivement 9ème, 6ème, 20ème et 10ème au classement PNB/habitant.

Mais la corrélation Richesse/Bonheur n’est pas parfaite. Les Bahamiens, les Bouthanais et les Costa-Ricains, classés 5ème, 8ème et 13ème dans le hit parade du bonheur, paraissent ne pas « mal vivre » leur pauvreté relative. A l’inverse, les économies les plus fortes n’offrent pas nécessairement les conditions du bonheur : voyez l’Allemagne, la France et le Japon, classé 90ème.

Une multiplicité de facteurs explique l’écart, dans un rapport, à n’en pas douter, fort complexe. Un de ces facteurs est particulièrement mis en exergue par Laurent Carpentier du Monde: la cohésion sociale, le sentiment, plus ou moins fort, d’appartenance à la Nation. Amusant de relever, à cet égard, que tous les pays au happiness ratting élevé connaissent une forme d’isolement : îles ou presqu’îles, pays nichés dans les montagnes, pays isolés institutionnellement.

Les Danois donc, les plus heureux : welfare state et économie solide, sécurité et respect, estime de soi, et surtout, le fait de vivre entre compatriotes. La thèse de ce couple écouté, ancienne ministre et chroniqueur influent, est explicite : « Les heureux Danois, une question de cohésion ». Une cohésion précieuse, heureusement préservée par une réduction massive des flux d’immigration, devenue insupportable durant les années 90 (sic). On se sent bien parce qu'on est entre nous, qu'on partage les mêmes valeurs (resic). Henrik Dahl, sociologue plus critique, dit la même chose à l’envers: « J’ai bien peur que ce soit la vieille version -celle de la solidarité mécanique qui ne dépasse pas la sphère des personnes semblables- qui prévale ici. Les Danois sont une tribu ».

Danemark, Suisse, Autriche… avec leurs villes propres et jolies, leurs bâtiments écologiques de pointe, la sécurité dans leurs rues, leurs transports en commun performants, … Des sociétés bien pensantes, où la différence est tolérée du bout des lèvres ; des pays au nationalisme affirmé où les bons résultats électoraux des partis populistes et d’extrême droite traduisent une tendance au repli identitaire.

Des gens heureux donc.

Troublant.

mercredi 16 septembre 2009

Javaux n'est pas Jannin


Je n’aime pas quand les politiques se mettent en scène, simplement parce que je n’aime pas la politique-spectacle.

Jean-Michel Javaux, le charismatique co-président d’ECOLO, vient de poster une vidéo simulant son enlèvement. Il le fait savoir, sur Facebook et Twitter : un teasing au profit d’un groupe rock ami, un clin d’oeil, à prendre au Xème degré sans doute. Le problème, c’est qu’en la circonstance, comme le montre la mésaventure de Brice Hortefeux, seul compte le premier degré.

Tout enlèvement est traumatisant, pour la victime, ses proches, les témoins. J’ai lu cet été le récit de Clara Rojas, l’ex-détenue des FARC. Ce WE, De Morgen relatait la séquestration par les talibans de Stephen Farrell, journaliste du NYT. Des situations analogues, moins spectaculaires, moins dramatiques, se produisent chaque jour et provoquent le même type de souffrances.

Simuler « pour rire », une prise d’otage, donne une impression de légèreté, d’absence d’empathie. Et venant d’un politique, c’est gênant.

Certains peuvent rire de tout (Jannin, Kroll, …); on l’accepte parce qu’ils ne représentent qu’eux. Puis, mine de rien, ils respectent les limites qu'ils se sont fixées.

Jean-Michel Javaux représente ses électeurs, sa commune, plus largement, avec ses collègues présidents des autres formations politiques, le corps électoral francophone dans son ensemble. Que ses opinions et ses positions soient tranchées ne pose pas problème. Par contre, ses « faits et gestes » doivent être consensuels, ne heurter aucune sensibilité, précisément parce qu’il a vocation à représenter tout un chacun.

Eric Fottorino, directeur du Monde, concluait son édito de ce WE en ces termes : « Brice Hortefeux a oublié qu’un ministre doit représenter à chaque instant les valeurs de la République. Et mesurer dans chaque mot ce qu’il peut contenir d’irrespect, de violence et d’humiliation ». Toute proportion gardée, le conseil me paraît pertinent ici aussi.

On peut être en politique, avec un certain détachement et un humour certain. Voyez notre Premier (l’actuel, pas le précédent !). Pas nécessaire, pour ce faire -et pas souhaitable d’ailleurs- de monter sur la scène de la politique-spectacle.

vendredi 11 septembre 2009

Une autre rue est possible, Mr le Président.

Ces dernières semaines, les habitants et les promeneurs de la rue de Flandre à Bruxelles ont découvert Jeroen Peters, squatter du n°100. Les avis affichés sur la vitrine de cet immeuble du dix-huitième siècle, propriété laissée à l’abandon par le CPAS depuis une dizaine d’années, racontent son histoire. La vidéo « L’équilibre fragile » postée sur www.vimeo.com permet d’en savoir plus.

Au départ d’une occupation « sans droit ni titre » mais à force de labeur et d’investissements, Peters a ouvert un espace original, «T’Evenwicht/L’Equilibre», galerie d’art pas comme les autres, lieu de rencontres ouvert aux voisins et aux démunis. Des artistes y exposent; des SDF y logent. Vernissages et repas sociaux se succèdent.

Mais voilà, «T’Evenwicht/L’Equilibre» n’entre pas dans les plans du CPAS; son président, Yvan Mayeur (PS), annonce que le squatter et ses hôtes devront évacuer les lieux pour laisser place à un rez commercial et un logement, après une opération de démolition / reconstruction. Un jugement d’expulsion est rendu. Le quartier se mobilise en faveur du maintien de l’Equilibre.

On en est là aujourd’hui.

Mon interrogation: une administration souple et dynamique est-elle possible ?

La logique institutionnelle voudrait ceci: les instances démocratiques anticipent et planifient; les décisions individuelles qui découlent de ce cadre général s’imposent telles quelles; pas question de s’en écarter. Exit donc Jeroen.

Une approche téléologique - qui met l’accent sur la finalité- envisagerait la question sous un autre angle. On sait que les plus belles symbioses sociales sont d’origine spontanée. Les meilleurs urbanistes et sociologues ont beau planifier mixité sociale et cohabitation harmonieuse; leurs plans ne suffisent pas. Dit plus simplement: combien de planificateurs ne rêvent pas de voir émerger dans leur ville idéale une galerie d’art à vocation sociale, ouverte sur son environnement urbain ? Le genre d’entreprises qui ne se décrètent pas, que les travailleurs sociaux ne peuvent inventer, mais qui naissent d’un concours heureux de circonstances, de la magie d’une personnalité, de son histoire, de sa motivation, de sa force et de sa rencontre avec un lieu donnée, à un moment donné.

Bien entendu, le projet n’entre pas dans les schémas administratifs conventionnels et l’évaluation de son apport social n’est pas chose aisée (on peut d’ailleurs en dire autant pour les initiatives conventionnelles). Mais à nouveau, l’intérêt public doit pouvoir se jauger aussi en dehors des instruments de mesure habituels.

Mon propos ici n’est pas de dire « Jeroen doit rester » mais de poser la question: le CPAS est-il capable de mesurer réellement l’apport pour la ville et ses habitants de ce lieu social spontané ? Peut-il, sur la base de cette évaluation, s’écarter -le cas échéant- de la voie purement administrative en laissant l’initiative se déployer et en inventant un dispositif d’encadrement approprié ? La question est évidemment plus générale: une gestion publique dynamique est-elle possible ? Les autorités sont-elles en mesure d'accorder une place aux initiatives spontanées, à valeur ajoutée pour la société, au moment où celles-ci émergent?

Yvan Mayeur, président du CPAS et parlementaire fédéral socialiste, reprenait récemment à son compte, avec Jean Cornil, le slogan « un autre monde est possible »; il ajoutait, plus loin: « il faut oser remettre en cause un productivisme qui menace la qualité de vie ».

On pourrait commencer ici et maintenant, simplement.